Cas clinique Jaquin : Réponses
Cas clinique proposé par Sébastien Weibel
Commentaires proposés par Jack Foucher
Diagnostic CIM-10
L'épisode de 2002 correspond à un épisode dépressif léger (F32.0) sur les éléments cliniques dont nous disposons (doivent avoir persisté ≥ 2 semaines) : au moins 2 symptômes typiques (tristesse et diminution de l'énergie avec amimie et réduction de l'activité), et au moins 2 symptômes autres (pessimisme et idées suicidaires). Le nombre de symptôme somatique rapporté est insuffisant pour remplir les critères diagnostics, donc : épisode dépressif léger sans syndrome somatique (F32.00).
Pour le second épisode de 2005, il n'y a pas suffisamment de symptômes maniaques rapportés pour en faire une manie délirante : seul l'exaltation et l'irritabilité sont mentionnées. On ne parle pas d'augmentation de l'énergie et d'au moins 2 symptômes autres. En revanche, en plus d'une exaltation et de l'irritabilité il y a de façon concourante, des idées délirantes persistantes ce qui permet d'établir le diagnostic de trouble schizo-affectif, type maniaque (F25.0). La clinique n'est pas assez détaillée pour l'épisode dépressif qui suit, ce qui exclue aussi le diagnostic de trouble schizo-affectif. Cet épisode ne répond pas non plus au critère de dépression post-schizophrénique (il aurait fallu remplir les critères de schizophrénie sur les 12 mois précédents). Le diagnostic est alors celui d'épisode dépressif, sans précision (F32.9).
Enfin le dernier épisode pourrait initialement correspondre à celui de manie avec symptômes psychotiques (F30.2) : au moins les deux symptômes typiques (élévation de l'humeur, augmentation de l'énergie), et au moins deux symptômes autres (optimisme et familiarité), associé à des idées délirantes congruentes à l'humeur (mégalomaniaques et d'invulnérabilité). Cependant l'antécédence et a persistance pendant un temps significatif (à l'appréciation de l'évaluateur) des symptômes psychotiques doit orienter vers un trouble schizo-affectif, type maniaque (F25.0).
Si on s'arrête à l'idée d'un trouble schizo-affectif maniaque (CIM-10). Le pronostic est considéré comme meilleur que celui de la schizophrénie, mais significativement moins bon que pour le trouble bipolaire. Le trouble schizo-affectif dépressif est de moins bon pronostic que la forme maniaque d'où leur séparation.
Il affecte plus volontiers les femmes que les hommes. Les patients présentent de très fréquente fluctuations diagnostiques, puisque les prochains épisodes peuvent être schizophréniques, ou thymiques.
Pronostic : Le pronostic fonctionnel est considéré comme mauvais pour ce qui est du travail, très mauvais pour ce qui est fonctionnement social.
Traitement : cf. recommandations.
Diagnostic DSM-IV-R
Le diagnostic de dépression se fait sur la présence d'une humeur dépressive (symptôme obligatoire), mais il aurait fallu au moins 4 autres symptômes. Or nous n'en avons que 3 : diminution de l'énergie, idées suicidaires et trouble du sommeil. Le pessimisme n'en fait pas partie à l'inverse de la CIM-10. Aussi sur les seuls éléments dont nous disposons, le diagnostic de trouble dépressif majeur (il faut comprendre avéré, "majeur" n'a aucune connotation de gravité) ne peut être porté selon le DSM-4R. On se rabat alors sur celui de trouble dépressif non spécifié (F32.9) dès lors qu'aucune prise de toxique ne peut être incriminée.
Pour l'épisode de 2005, là encore, le niveau d'exigence du DSM-4R ne permet pas d'établir un diagnostic similaire à la CIM-10. En effet, pour le diagnostic d'épisode schizo-affectif type maniaque, il faut remplir les critères d'un épisode maniaque en plus des critères de rang A de schizophrénie. Or le diagnostic de manie n'est pas possible sur les éléments dont nous disposons : en plus de l'irritabilité / exaltation, il n'y a que le critère augmentation de l'estime de soi qui soit rempli, il en faudrait au moins 2 autres (3 s'il n'y avait eut que l'irritabilité). De même, seules les idées délirantes sont présentes, mais n'étant pas bizarres il faudrait un autre symptômes. Or il n'y a pas de symptômes négatifs, pas d'hallucinations, et l'hermétisme n'est pas considéré comme une trouble du cours de la pensée.
On pourrait porter le diagnostic de trouble délirant de type mixte devant la présence d'idées délirantes non bizarres de plusieurs types (F22.0). Mais on pourrait aussi décréter que le fait qu'un symptôme ne soit pas signalé ne signifie pas que ce symptôme n'était pas présent et on utilise le diagnostic de trouble psychotique non spécifié en raison de cette incertitude (F29).
Il n'y a pas suffisamment d'élément pour porter un diagnostic DSM pour l'épisode dépressif (donc non spécifié – F32.9).
Pour le dernier épisode, les critères d'un épisode maniaque sont cette fois-ci remplis : exaltation de l'humeur (critère A) et au moins 3 autres signes : idées de grandeur, agitation psychomotrice, et on peu supposé sur le descriptif qu'il y avait une plus grande tendance à parler. Pour parler d'épisode schizo-affectif, il faut que les symptômes psychotiques durent au moins plus d'un mois et se poursuivent plus de 2 semaines en l'absence de trouble de l'humeur significatif. Il semble que cela soit le cas, même si les délais ne sont pas précisés. Le sous type est bipolaire, ce qui correspond au sous-type maniaque de la CIM-10 (F25.0).
Diagnostic WKL
La classification de WKL a conservé le diagnostic de dépression réactionnelle, autrement dit d'origine exogène (liée aux évènements de vie). Le premier épisode en 2002, alors qu'il était âgé de 38 ans aurait pu en faire partie, puisqu'on nous dit que le patient venait de traversé un événement de vie que l'on peut considérer comme pénible. Mais on a déjà de nombreux symptômes plus spécifique du trouble qui se précisera ultérieurement : sténicité, attitude méfiante, froideur affective, regard fuyant. Ces derniers étaient suffisamment marqués pour qu'un traitement par antipsychotiques ait été initié, mais malheureusement pas poursuivit.
Juste sur ces éléments on peut suggérer soit une forme unipolaire, la dépression soupçonneuse, ou alors des formes bipolaires : la PMD est peu probable si le tableau est stable, une psychose anxieuse (psychose cycloïde) est possible, mais surtout, une paraphrénie affective.
Il est classique d'observer un épisode dépressif dans la phase initiale d'une paraphrénie affective. De tels épisode deviennent en revanche exceptionnelles par la suite et essentiellement remplacés par des formes anxieuses. S'il est parfois difficile d'être certain du diagnostic dès cet épisode, il faut néanmoins évoquer cette possibilité face à une réticence méfiante comme il a pu la manifester, et rechercher des symptômes plus typiques : anxiétés, première idées délirantes de préjudices ou de persécution sous tendu par un affect vif etc... C'est sans doute ce qui pointait déjà lorsqu'il "exprime son sentiment d’être victime des malheurs qui l’assaillent". La phase suivante élimine les diagnostics unipolaires. La PMD et la psychose d'anxiété félicité sont rendues peu probable en raison du type d'idée délirantes : référence, persécution, mégalomaniaque, se voit en rédempteur de la société, érotomanie. Les thèmes mystiques sont aspécifiques en tant que tel, c'est la façon dont ils sont traité qui va distinguer une psychose d'anxiété-félicité d'une paraphrénie affective : autant le patient est empathique dans la première, autant il est égoïste dans la seconde (une caractéristique qui vaut qu'elle que soit le type). Enfin, on retrouve les éléments qui dans cette phase d'exaltation, et d'irritabilité deviennent encore plus caractéristiques : la réticence méfiante, menant à des propos allusifs au point de rendre le discours hermétique sans qu'il soit possible de parler d'un trouble du cours de la pensée. Il a le recule suffisant pour se rendre compte qu'on pourrait le prendre pour un fou, mais il est trop pris dedans affectivement pour mettre en doute la véracité de ses idées. Enfin la persistance de ces éléments après l'épisode signe sans doute un début 'accumulation de symptômes résiduels.
Les phases qui suivent ne font qu'appuyer un peu plus le diagnostic.
Le début tardif du trouble est classique puisque les patients rentrent en contact avec la psychiatrie autour de 35 ans en moyenne. Le trouble est plus fréquent et plus sévère chez la femme (1 homme pour 3 femme) .
La proportion de frères et soeur souffrant de psychose est de l'ordre de 15% (non corrigé pour l'effet de l'age), majoritairement d'un trouble homotypique (c.-à-d. aussi d'une paraphrénie affective). En revanche le nombre de parent atteint est faible (autour de 3%). Cet écart entre fratrie et parent en plus de l'effet de consanguinité laisse supposé que l'hérédité est de type récessive (à pénétrance incomplète).
Pronostic : L'évolution est plutôt bonne sur le plan de la capacité de travail, longtemps préservée. En revanche le fonctionnement social est généralement très détérioré : ce sont des gens qui resterons seul et aurons un tissus social extrêmement limité. A terme cependant peuvent apparaître d'autres symptômes (hallucinations, idées délirantes fantastiques alors que s'installe un trouble de la pensée a minima). Il n'y a en règle pas d'aplatissement des affects et c'est la coloration affective très vive observée même lors d'une forme avancée qui différencie ce tableau d'une paraphrénie fantastique. A noter que pour une fois, l'évolution est d'autant plus favorable (moindre accumulation de symptômes) que le patient est de sexe masculin.
Traitement : Le traitement par neuroleptique est incontournable et peut être avantageusement assorti d'un normothymique qui en majore les effets même sur les troubles psychotiques (~70% d'amélioration modérée à majeure en add-on d'un neuroleptique).