Dopamine, apathie et dépression : les leçons à tirer de la maladie de Parkinson
Catégorie : LectureAuteur : Jack R Foucher
C'est un phénomène connu : après l'implantation d'électrodes de stimulation dans le noyau sous-thalamique (STN) et la baisse concomitante des dopaminergiques, un bon tiers des patients présentent une apathie, voir une dépression. Deux hypothèses s'affrontent :
- Effet de la baisse des dopaminergique, oui mais tous les patients ne présentent pas d'apathie ou de dépression, et celles-ci ne sont pas corrélées à l'importance de la réduction des substances dopaminergiques...
- Aussi il a été proposé que l'apathie soit un effet de la stimulation cérébrale profonde (DBS), la cible fait 5 mm dans on plus grand axe, l'électrode peut tomber dans la partie "limbique" du STN.
Dans cette très belle étude menée conjointement par les équipes de Grenoble et de Lyon, 63 patients ont été suivit post implantation et après arrêt des dopaminergiques directs et réduction maximale de la L-DOPA. Cela correspondait à une réduction de 82% des traitements dopaminergiques à 1 mois, 73% à 1 an, qu'il faut comparer aux 50 à 60% classiquement pratiqués. La moitié des patients vont présenter une apathie dans l'année qui suit. Celle-ci n'apparait pas tout de suite, elle ne débute qu'à partir du 2ème mois, 4.7 en moyenne. Et la moitié du groupe apathique verra apparaitre une dépression dans les 2 mois qui suivent l'apparition de l'apathie et cela malgré l'initiation d'un agoniste DA (certes pas des plus puissant : piribédil - TRIVASTAL®).
En préchirurgical, motricité (UPDRS ON et OFF) et cognition (Mattis) n'étaient pas différentes entre les patients qui allaient devenir apathiques de ceux qui ne le deviendront toujours pas après 12 mois d'évolution. En revanche les fluctuations non motrices : anxiété (BAI), dépression (BDI), d'apathie (SAS) et d'asthénie (VAS) entre phases ON et OFF étaient significativement plus importantes. Une échelle spécifique existe pour mesurer ces fluctuations non motrices lors d'un test à la L-DOPA avec une valeur de cut-off de 2 au-delà de laquelle le risque de passer dans le groupe apathique par unité de temps (Hazard Ratio ou HR) est multiplié par 2.7 (Ardoin et coll. 2009).
Puis sur un échantillon plus restreint de patients, les auteurs ont effectué un PET au raclopride marqué au carbone 11. Sa demi-vie est de 20 min, ce qui nécessite un cyclotron et une équipe de radiochimiste sur place (CERMEP à Lyon). rappelons que le raclopride marque les Rc D2 libre (pas de dopamine dessus). Pour cela ils ont pris 12 patients au moment où ils remplissaient les critères d'apathie (SAS) qu'ils ont comparé à 13 patients qui ne l'avaient toujours pas développé à 12 mois. Il est évident que les patients apathiques ont donc eut leur PET après une durée bien plus courte de réduction des dopaminergiques, mais cette information n'est pas donnée. Il faut dire qu'elle grève l'interprétation des différence en terme de réduction de la sensibilisation... les patient non apathiques ont eut tout le temps de la voir se réduire (12 mois), peut-être pas les patients apathiques...
Bien sur les deux groupes différaient sur les scores d'anxiété, de dépression, d'apathie et d'asthénie, mais pas sur le plan moteur ou en terme de traitement. L'examen PET a été réalisé OFF traitement dopaminergique (12h) sans et après ingestion de 0.5 mg/kg de méthylphénidate (MPD), soit autour de 30 mg pour les deux populations, ce qui occupe à peu près 50% des transporteurs de la dopamine au niveau striatal. Seuls les 12 patients apathiques présentaient une amélioration significative de leur score d'asthénie, seul item non-moteur testé, mais aussi de leur score moteur.
L'analyse en région d'intérêt (ROI) sur le putamen et le noyau caudé ne montrait pas de différence significative entre les groupes au repos. Rappelons que plus le marquage est important, plus il existe de Rc D2 libres : soit par excès de Rc, soit par manque de DA. Quant à l'effet du MPD, il était certes plus marqué chez les patients non apathiques (-8%, p < 0.05) que chez ceux qui l'étaient (-3%, NS), mais les auteurs ne rapportent pas que cette différence soit significative. Rappelons que le MPD augmente la DA synaptique t donc réduit le marquage. Une baisse plus forte de celui-ci trahi donc un relargage plus massif de DA et est utilisé ici comme façon d'évaluer la désafférentation dopaminergique.
Ces résultats étant plutôt décevant, les auteurs ont effectué une analyse SPM, c'est à dire voxel à voxel pour s'affranchir de l'hypothèse d'une différence homogène sur l'ensemble de la ROI. Evidement avec un seuil non corrigé pour test multiple de 0.001 pour une extension à 10 voxels, de nombreuses régions sont significativement différentes. Il n'est pas possible de savoir à quel volume cérébral 10 voxels correspondent, cette information n'est pas fournie, mais ne semble pas correspondre à la résolution de l'acquisition (si on estime que les voxels font 2x2x2 mm après normalisation, cela correspond à un volume de 0.08 cm3, à peine plus gros qu'une goutte d'eau qui fait 0.05 cm3). Il n'est pas possible de discuter l'ensemble des résultats, trop de régions sont cernées dont des régions où la densité en Rc D2 est faible. De plus le raclopride n'est pas un bon marqueur des Rc D2 extrastriataux... Nous nous contenterons donc de commenter ce qui se passe dans le striatum. Au repos, le striatum gauche présente un marquage bien plus important dans le groupe apathique (p < 0.001, n = 441 vx, soit ~3.5 cm3). Il n'y a pas d'effet clair du MPH. A noter tout de même que si on prend l'ensemble des régions extra-striatales, les différences vont toujours dans le même sens : un marquage plus important chez les patients apathiques au repos, un différentiel plus marqué avec le MPH chez les patients non apathiques. Il n'y a aucun résultat significatif pour les contraste inverses.
Au total, l'hypothèse dopaminergique de l'apathie post-DBS semble raisonnablement bien supporté par les données : on trouve des fluctuations non motrices chez ceux qui vont devenir apathiques qui trahirait une dénervation et/ou une sensibilisation dopaminergique plus importante, s'étendant aux structures "limbiques" dans la population des patients apathique. C'est donc le patient qui fait le risque d'apathie et pas l'importance de la réduction des dopaminergiques.
Au delà de la confirmation de l'importance de la DA dans l'apathie cette étude montre 3 éléments qui pourraient éclairer le traitement de la dépression classique :
- La dopamine pourraient être efficace aussi sur l'anxiété ! Maintenant la meilleur preuve est fourni par le test à la L-DOPA, un précurseur de la DA, mais aussi de la NA.
- L'apathie ne se développe pas tout de suite. On a l'impression d'une sorte de cycle d'hystérésis : lorsque la machine est lancée, elle ne va pas s'arrêter tout de suite. Le mécanisme suggéré par les auteurs est la sensibilisation du système DA plus marqué en cas de stimulation pulsatile... une idée à garder en tête pour interpréter les effets aggravant des antidépresseurs sur la dépression bipolaire, un effet qui semble de plus en plus marqué avec le temps et que contrôlent bien les antipsychotiques à longue demi-vie...
- En revanche, l'apathie, la dépression, l'asthénie et l'anxiété s'amendent immédiatement avec la L-DOPA. Un effet qui rappel celui observé lors de l'utilisation de la kétamine ou le MPD.
Pour finir, un petit mot sur le syndrome de dérégulation dopaminergique. Attention, si au Japon ce terme est utilisé pour qualifier la schizophrénie (moins stigmatisant), ici il qualifie les patients qui présentent des comportements de type addictifs au produit (DA) ou à certains comportement à risque. Au départ, 4 patients remplissaient les critères, 17 étaient à la marge. Ils ne semblent pas être plus ou moins à risque de développer une apathie. Non seulement tous vont s'améliorer, mais de plus aucun ne développera ce type de comportement en post-DBS, un effet secondaire pourtant fréquents. La baisse drastique des produits DA en post-DBS pourraient donc se justifier.
Thobois et coll. Non-motor dopamine withdrawal syndrome after surgery for Parkinson's disease: predictors and underlying mesolimbic denervation. Brain. 2010 Apr;133(Pt 4):1111-27