10/10/13 10:59

Antipsychotique et rétablissement

Catégorie : Lecture
Auteur : Jack Foucher
Faut-il arrêter les neuroleptiques chez les patients psychotiques en rémission ?

Introduction

L'étude néerlandaise de Wunderink fait le buzz. Ses auteurs pensent qu'il vaudrait mieux tenter d'arrêter le traitement lorsque cela est possible chez des premiers épisodes en rémission... Qu'en est-il ?
Cette étude est la suite d'une précédente étude qui proposait à des premiers épisodes psychotiques entrés en rémission :

  • soit un traitement de maintien (MT)
  • soit une réduction / arrêt du traitement (AT)

Bien entendu cela était fait de façon prospective et randomisée. Sur un bassin de population de 3.2 M d'habitants, 257 patients étaient éligibles, 111 ont refusé de participer et 18 ne sont pas entrée en rémission. On ne sait pas quel fut le taux de premier épisodes rentrés en rémission, on ne peut que supposer que ce taux n'avait pas beaucoup différé de celui de l'étude EFEST, soit ~80% (≤3 pour certains symptômes clefs de la PANSS). Au final 128 patients avaient été inclus dans l'étude originale, ce qui correspond selon les mot de l'auteur à "la meilleure moitié". A deux ans, seuls 21% du groupe AT avait pu arrêter le traitement, celui-ci n'a pu être que réduit chez les autres. Il n'y avait pas de différence de qualité de vie (WHOQoL) ou de fonctionnement général (GSDS) entre les deux groupes, seule une meilleure insertion professionnelle était rapportée avec une différence marginale en faveur du groupe AT (35% vs 17% travaillaient soit p = 0.06)... Cependant cela avait été obtenu au prix d'un doublement du nombre de rechutes (42% vs 21% à 18M).

L'étude actuelle se proposait de recontacter les patients ayant participé à l'étude d'origine et de voir comment leur devenir avait été impacté par leur prise en charge initiale. Des 128 patients d'origine, 103 ont accepté de participer, soit 80%, ce qui est peu commun comme taux de rétention. D'autant que le taux de perdu de vue est faible (6 patients), et 1 patient est décédé par suicide, les 18 patients restants n'ont pas souhaité participer. Sans surprise ils y avait moins de trouble schizophréniforme et plus de schizophrénies dans ce groupe, même si cela n'était pas significatif (peut-être en raison du sur-découpage diagnostique).

Question

La question était de savoir si la prise en charge d'origine a été déterminante sur le fonctionnement des 6 derniers mois (on ne parle plus de la qualité de vie) : soit associé à une rémission symptomatique (on parle de rétablissement) soit pris isolément. Un modèle de régression logistique par étape était utilisé comprenant outre la variable d'intérêt (type de prise en charge - MT vs. AT) les variables explicatives suivantes : sexe, age, durée de psychose non traitée, prise de substance, fonctionnement et symptômes à l'inclusion dans l'étude d'origine (positifs, négatifs, généraux).

Résultats

  • Le résultat est sans appel : en comparaison directe le taux de rétablissement était de 40% dans le groupe AT, 17% dans le groupe MT (p = 0.004) un effet qui persistait lors de la prise en comptes des autres facteurs (p = 0.01).
  • L'effet est au niveau du fonctionnement (46% vs. 20%, p = 0.01), mais pas au niveau de la rémission symptomatique (69% vs. 68%).

De plus on retrouve :

  • Plus de patient en rémission avec un mauvais fonctionnement dans le groupe MT (29% vs. 49%).
  • La proportion de bon fonctionnement en l'absence d'une rémission fonctionnelle était faible (6% vs. 2%).
  • Au final un petit tiers des patients ne présentait ni rémission, ni fonctionnement de qualité (25% vs. 31%).

A noter que les autres variables explicatives qui ressortaient comme significatives étaient :

  • Une moindre symptomatologie négative (p = 0.007)
  • Avoir un meilleur fonctionnement social (p = 0.04)
  • Et vivre avec quelqu'un à l'inclusion (p = 0.01).

Cette fois-ci l'amélioration se fait sans coût :

  • Il n'y a pas plus de rechute cumulée (1.13 vs. 1.35, ns).
  • Et si le groupe AT a rechuté plus tôt, les courbes de survie pour le premier épisode se croisent vers la 3éme année, de sorte qu'à 7 ans 38% du groupe AT n'ont jamais fait de rechutes, vs. 32% du groupe AT (non significatif).

A noter :

  • Il y a plus de diagnostic de schizophrénie dans le groupe MT (36% vs. 51%), mais le même nombre de trouble schizophréniformes (27% vs 30%), la différence étant comblée par le trouble délirant chronique et le trouble psychotique NS (non spécifié).
  • La dose moyenne d'antipsychotique sur les deux dernières années était traitée comme une variable dépendante : elle était significativement plus faible dans le groupe AT (2.2 mg eq halopéridol vs. 3.6 mg, p = 0.03), un effet qui devenait marginal (p = 0.07) si les patients non traités étaient exclus (20% dans le groupe AT, 11% dans le groupe MT).

Discussion

L'auteur confesse très honnêtement que les évaluations n'étaient pas faites à l'aveugle. Mais admettons que cela n'ait pas jouer de rôle autre que marginal. On pourrait encore critiquer la façon dont l'étude a été menée. En effet, la qualité de vie retenue pour la première étude ne l'était plus pour la seconde, ce qui montre que les auteurs ont modifié leurs objectifs en fonction des résultats de la première étude. L'échantillon restant le même, c'est statistiquement erroné, les mêmes variables dépendantes auraient du être choisie... de l'avantage de faire les études en deux temps.

Les auteurs proposent d'expliquer leurs résultats en suggérant que ce soit la stratégie de départ qui ait influencé favorablement l'attitude du patient face à sa maladie. Les patients se sentiraient plus investi dans leur prise en charge, ce qui expliquerait un meilleur devenir fonctionnel. Il est surprenant qu'à aucun moment se soit posée la question de savoir si ce n'était pas la stratégie thérapeutique du psychiatre qui aurait été la plus influencée. Il faut pourtant relever que les patients ayant bénéficié de la stratégie de réduction de dose étaient moins lourdement traités que les autres ! Il est dommage que les reviewers n'aient pas demandé une statistique supplémentaire intégrant la dose de traitement comme covariable pour savoir dans quelle mesure elle n'expliquerait pas mieux le devenir des patients que la prise en charge d'origine.
Jusqu'à preuve du contraire, ce serait pourtant l'explication que nous favoriserions. Et cela rappelle combien en phase de maintien, dès lors qu'une rémission est atteinte (et seulement dans ce cas), la plus petite dose possible d'antipsychotique doit être proposée. Dans un esprit WKL il est probable que les 16% de psychotiques non traités soient majoritairement des psychoses cycloïdes. On sait combien celles-ci sont sensibles aux antipsychotiques qui peuvent les transformer en véritables schizophrénie tant le traitement entraine de symptômes déficitaires. Cette recommandation vaut donc au-delà du premier épisode. On remarque de plus que les auteurs n'ont donné aucune consigne quant à la façon de réduire le traitement, or il est probable qu'une partie du surcroit de rechutes durant les 2 premières années de l'étude soit du pour une part aux psychoses d'hypersensibilité. L'hypersensibilité du Rc D2 apparait rapidement sous traitement et est durable. Les dernières doses doivent être retirées sur des périodes extrêmement longues (1 à 2 ans) et non sur 3 mois comme proposé dans les recommandations

Wunderink et coll. Recovery in Remitted First-Episode Psychosis at 7 Years of Follow-up of an Early Dose Reduction/Discontinuation or Maintenance Treatment Strategy: Long-term Follow-up of a 2-Year Randomized Clinical Trial. JAMA Psychiatry. 2013 Sep 1;70(9):913-20.