Cas
clinique : Jaquim
Cas
raporté par Sébastien Weibel au club psychose 29
mai 2008
Mise en format html Jack Foucher
Admission
Biographie
Hospitalisation,
histoire de la maladie
Suivit
Questions
Admission
J’ai rencontré M. Jaquim pour la
première fois en
décembre 2005 dans le pavillon d’admission du
service de
psychiatrie générale où
j’étais
interne. M. Jaquim avait été admis la veille en
urgence,
sous le régime de l’HDT. Les certificats
médicaux
mentionnaient un délire de thème mystique
d’évolution récente. Le
médecin de garde
avait conclu à des troubles du comportement dans un contexte
délirant probable. Le délire n’avait en
effet pas
été objectivé du fait de la
réticence
importante du patient. Le médecin avait
été
contraint à placer le patient en chambre
d’isolement du
fait de son agressivité.
M. Jaquim était connu du service pour y avoir
été
hospitalisé à trois reprises en 2003, mais dans
un
contexte bien différent de dépression avec
idées
suicidaires. Le patient avait laissé un relatif mauvais
souvenir
à l’équipe puisqu’il avait
été
ressenti comme manipulateur, et profitant des
bénéfices
secondaires apportés par l’hospitalisation.
J’y
reviendrais par la suite. Le patient avait été
ensuite
perdu de vue.
Biographie,
histoire de la maladie
M. Jaquim est né en 1964. Il a donc 41 ans lors de notre
rencontre. Il est né d’un père ouvrier
et
d’une mère n’ayant jamais
travaillé. Ses
parents sont en cours de divorce actuellement. Il est
l’aîné d’une fratrie de trois
garçons.
Le second est suivi par un psychiatre pour un syndrome
dépressif, le dernier serait schizophrène et vit
encore
chez ses parents. Après avoir quitté le domicile
familial, il a travaillé comme ouvrier du
bâtiment.
Licencié en 2003, il n’a plus retrouvé
de travail
fixe depuis. Sa vie sentimentale a toujours été
assez
chaotique. Il a eu une fille en 1989, qu’il ne voit plus
depuis
qu’elle a trois ans, date de la séparation
d’avec sa
mère. Il aurait aussi un fils qu’il n’a
jamais vu.
Il décrit une relation particulièrement houleuse
avec sa
dernière compagne, qui était alcoolique. Se
connaissant
depuis 2000, de nombreuses séparations et
d’épisodes de violence ont marqué les
quelques
années de vie commune. Depuis 2003, M. Jaquim est devenu
compagnon d’une communauté Emmaüs.
Il a comme antécédent médical une
hernie discale
opérée, mais encore source de douleurs
importantes. Le
patient ne consomme pas de toxiques ni n’abuse
d’alcool.
M. Jaquim a donc été hospitalisé en
psychiatrie
à trois reprises en 2003. Il semble qu’il
n’ait pas
eu de contact avec un psychiatre ou un service de psychiatrie
auparavant. Néanmoins, il aurait
présenté une
dépression en 2002 suite à une
séparation.
Je vais revenir plus en détail sur les
éléments
cliniques que j’ai pu colliger à partir du
dossier. Lors
de sa première hospitalisation, M. Jaquim avait
été adressé à
l’hôpital du fait
de propos suicidaires. Le patient était décrit
lors de
son admission comme ralenti, triste, amimique. Plusieurs autres
symptômes de la lignée dépressive
étaient
notés. Le patient se plaignait des différents
événements de vie qui l’avaient
accablé les
derniers temps et avait de ce fait une vision pessimiste de
l’avenir. Il faisait allusion à des
idées noires et
parlait de tentatives de suicide dont la réalisation avait
été plus ou moins avancée :
phlébotomie,
électrocution. Le contact était plutôt
bon
même si l’élaboration restait pauvre.
Aucun
élément délirant
n’était noté.
Un traitement antidépresseur (sertraline) et
sédatif
(Tercian ?) a été mis en place, permettant une
amélioration de l’humeur en trois semaines
environ, mais
restant assez peu efficace sur les troubles du sommeil à
type de
réveils nocturnes dont se plaint le patient.
Cependant, des modifications sont relevées quant au contact
: M.
Jaquim devenait parfois sthénique, justifiant ses reproches
agressifs par des plaintes quant à la qualité de
l’hôtellerie et à la bonne
volonté des
soignants. Par ailleurs il semblait méfiant, et le contact
était empreint d’une certaine fausseté
et de
froideur. Il était difficile d’obtenir un contact
visuel
tant son regard était fuyant. Un traitement par
antipsychotique
a été alors proposé (olanzapine). M.
Jaquim est
sorti d’hospitalisation après un séjour
de quatre
semaines.
M. Jaquim a été
réhospitalisé deux semaines
après sa sortie pendant quelques jours puis à
nouveau
pendant trois semaines deux mois plus tard. Le patient se plaignait
d’idées suicidaires mais sur le plan clinique, on
ne
pouvait pas conclure à une rechute dépressive.
Par
ailleurs, M. Jaquim venait de perdre son logement et se trouvait dans
une situation personnelle très difficile. Globalement, son
attitude oscillait entre un état assez
démonstratif
où le patient se plaint, tendu et nerveux la tête
baissée, le regard vers le sol, exprimant son sentiment
d’être victime des malheurs qui
l’assaillent et de
façon toute opposée, un aplomb, un
coté narquois
et assuré. Les propos du patient restaient assez
superficiels et
factuels. Cette situation laissait à
l’équipe
soignante une impression de manipulation et peut-être aussi
un
agacement face à un comportement parasite. Le patient est
finalement sorti, avec comme solution à sa situation de
désocialisation l’accueil dans une
communauté
Emmaüs. Le traitement a été
limité à
l’antidépresseur.
Le diagnostic posé à sa sortie était :
«
syndrome dépressif sévère, avec traits
de
personnalité paranoïaque et comportement
manipulateur
»
Hospitalisation
C’est donc deux ans plus tard que je rencontre ce patient. Le
contact est très mauvais et il est difficile
d’obtenir des
informations. La réticence est massive, M. Jaquim
étant
parfois à la limite du mutisme, arborant
néanmoins un
sourire entendu. Le discours est allusif, emprunt de rationalisme :
« vous êtes gaucher, vous devriez comprendre
» dit-il
à un infirmier. Des éléments de
thème
mystique émaillent son discours relativement
hermétique :
« vous croyez en Dieu, c’est au dessus de tout
ça
». Bien que ne présentant pas de troubles du cours
de la
pensée, il est difficile de comprendre ses propos, tant M.
Jaquim semble en proie avec cette réticence se
déployant
devant un délire probablement riche. Le patient est
extrêmement méfiant, cela contrastant avec une
note
d’exaltation, mais aussi irritable et instable.
L’ambiance
qu’il suscite est très tendue.
Un traitement par neuroleptique atypique (olanzapine) est introduit
permettant une relative diminution de la tension et de
l’agressivité. Cependant, M. Jaquim reste encore
menaçant et inaccessible au dialogue.
C’est seulement après deux semaines
d’évolution que de façon assez
paradoxale, M.
Jaquim me fait part, de façon d’abord exclusive,
de son
édifice délirant. Les thèmes de son
délire
sont multiples. Tout d’abord il me fait part de sa
volonté
de tout changer, de régler les problèmes,
notamment de
corruption, qui assaillent la société
française et
la communauté Emmaüs. Il pense que lui, enfin,
grâce
à sa volonté sans faille va démasquer
les
usurpateurs et mettre de l’ordre. A coté de ces
éléments mégalomaniaques, il me fait
part
d’un phénomène de concernement :
« j’ai
vu un reportage entier sur moi à la
télé »,
et embraie sur un thème érotomaniaque. Il aurait
rencontré une jeune polonaise à la
communauté :
« ça sera le mariage du siècle
», « ils
en ont parlé à la
télévision ».
L’adhésion est totale : « ne me prenez
pas pour un
fou », dit-il. La persécution n’est
jamais loin, que
ce soit dans le contenu du délire (« micros sous
le
lit») ou dans le comportement.
Sous traitement, l’amélioration est obtenue en
l’espace d’un mois. Les
éléments
délirants sont totalement mis à distance et le
contact
est satisfaisant.
Donc M. Jaquim a présenté un épisode
délirant aigu essentiellement interprétatif et
intuitif
à thématiques mégalomaniaque et de
persécution, marqué par une méfiance
très
importante mais aussi par une note d’exaltation en
début
de phase productive.
Suivit
Je l’ai suivi en CMP au sortir de son hospitalisation. Le
traitement a d’abord été
modifié du fait
d’effets secondaires importants des neuroleptiques
(parkinsoniens
et atropiniques). L’évolution est
marquée par un
état dépressif profond, avec idées
suicidaires
mais sans symptôme psychotique, survenant au cours du mois de
février 2006. M. Jaquim est hospitalisé, et une
amélioration de son état est constatée
après trois semaines de traitement
antidépresseur. Le
suivi se poursuit. M. Jaquim s’adapte à nouveau
à
son cadre de vie dans la communauté Emmaüs. Lors de
nos
entretiens, le contact est bon et le discours cohérent. Le
patient dit prendre son traitement régulièrement
et ne se
plaint absolument de rien. J’ai tout de même
tendance
à m’interroger devant certains traits de
personnalité qui m’intriguent : arborant un
sourire
inaltérable, il me donne l’impression de garder
une part
mystérieuse. Derrière un aspect de
normalité,
j’ai l’impression, en l’absence de tout
trouble
formel de la pensée ou du discours, qu’il tente de
donner
le change par cette façade un peu factice. Par moments,
j’ai également l’impression que des
éléments délirants ne sont pas loin :
il me parle
parfois de sa « petite amie » polonaise objet
d’une
partie de son délire du mois de janvier (et avec qui il
n’a plus de contact), dont la pensée
l’obsède
parfois… M. Jaquim se ressaisit vite pour
m’assurer que
tout va bien.
Au mois de juillet, M. Jaquim rate un rendez-vous. Il vient
néanmoins au rendez-vous suivant, l’air triomphant
:
« c’est notre dernier rendez-vous, c’est
bon, tout
est réglé, je n’ai plus besoin de tout
ça… », m’annonce-t-il. A ses
lèvres
son sourire énigmatique est encore plus accentué
qu’à l’habitude. M. Jaquim a des propos
très
optimistes, et me dit de manière allusive « il y
aura du
changement ». je ne note cependant ni idées
clairement
délirantes ni hallucinations. Il est familier, tourne en
rond
dans mon bureau et j’apprends qu’il ne dort
quasiment plus
: « la nuit ça me travaille ». Il existe
un
sentiment d’invulnérabilité et M.
Jaquim refuse
toute intervention de ma part. J’apprends
également
qu’il ne prend plus son traitement depuis de nombreuses
semaines.
Au regard ce cet épisode assez typiquement maniaque, je dois
organiser un hospitalisation sous contrainte qui se fait le lendemain.
Au service, un délire congruent à
l’humeur est
noté. Je n’ai pu participer à la prise
en
charge hospitalière de M. Jaquim. Un traitement
neuroleptique permet de juguler en deux semaines
l’épisode
maniaque. Il est noté que le patient présente,
après l’épisode des traits de
personnalités
marqués par la méfiance et la rigidité
ainsi que
des tendances aux interprétations persécutives.
Il sort
d’hospitalisation avec un traitement neuroleptique retard.
Je revois M. Jaquim en ambulatoire. Il me parait un peu
réticent mais surtout assez éteint et ralenti par
le
traitement neuroleptique qui est à dose assez
conséquente. Au vu de l’histoire clinique nous
décidons, en même temps que la diminution du
traitement
neuroleptique, d’introduire un thymorégulateur et
nous
choisissons la molécule de référence :
le lithium.
Le traitement est bien toléré et j’ai
suivi le
patient jusqu’au mois de novembre, date à laquelle
j’ai quitté le service.
Questions
Vous pouriez
prendre le temps de répondre à
ces questions :
- Quelle est / sont votre / vos
proposition(s) /
hypothèse(s) diagnostique(s) en fonction de la CIM-10
et du DSM4R
(sous forme
comprise), et pour ceux qui souhaites aller plus loin, en fonction de
la classification de Leonhard (WKL).
- Sur la base de ce(s) diagnostic(s),
quel peut être le pronostic ?
- Sur la base de ce(s) diagnostic(s),
quel est votre proposition thérapeutique ?
Une fois fait, cliquez sur le bouton "suite"
pour lire les
réponses à ces questions (postée
après que
les cas auront été débatus au club psychose,
cf. programme).
Copyright
© CEP, création
juin 2008, dernière mise à jour juin
2008, Sébastien Weibel, Jack Foucher