L'escitalopram est-il vraiment supérieur au citalopram ?
Catégorie : LectureAuteur : Jack R Foucher
Evergreening: how green is it after all? Sous ce titre verdoyant se cache une méta-analyse bien faite comparant citalopram (CTL) et escitalopram (S-CTL), l'énantiomère pure du premier. Mais pourquoi parler d'evergreening ? L'evergreening correspond à l'ensemble des stratégies déployées par les laboratoires pour maintenir une molécule qui marche bien (blockbuster) sous brevet au delà de la durée de protection légale. Pour mémoire, une fois le brevet déposé, le laboratoire dispose des droits exclusifs sur la molécule pendant 20 ans, voir jusqu'à 25 ans en France pour couvrir la phase d'enregistrement administratif. Au-delà celle-ci tombe dans le domaine public et n'importe quel laboratoire peut s'en saisir, faire une simple étude de bioéquivalence sur un nombre réduit de sujets pour proposer un générique. On considère qu'une fois que le brevet est tombé dans le domaine public, les ventes diminuent de moitié dans les 4 mois (aux USA).
Les stratégies les plus fréquentes consistent à modifier la galénique (SEROQUEL qui devient du XEROQUEL, une version "Xtended release"), utiliser un métabolite actif de la molécule originale (RISPERIDONE => PALLIPERIDONE) ou faire un précurseur qui se dégrade en molécule mère (DEPAKINE devenu DEPAMIDE puis DEPAKOTE), ou encore la stratégie de l'énantiomère : le cas du SEROPRAM qui devient du SEROPLEX.
Mais il existe aussi des alternative légales, très en vogue aux USA : invoquer une violation du droit de la propriété, orchestré avec la connivence d'un autre laboratoire. Déclenchée au moment de la perte des droits sur le brevet, il retarde jusqu'à 30 mois celle-ci, le temps de tenue du procès (Hatch-Vaxmann act). Ainsi la querelle FOREST lab vs. LUNDBECK pharm. a permis à ce dernier de se voir attribuer un allongement du brevet pour l'S-CTL de 27 mois au USA, soit de décembre 2009 à mars 2012. Le dépôt de plainte à répétition auprès des laboratoires fabriquant des génériques pour violation des droits de propriété est une autre stratégie : elle décourage les nouveaux venus et entraine des frais de procès que ces laboratoires doivent faire retentir sur leur prix, d'où une réduction de la différence de prix entre l'original et le générique... C'est histoire de planter le décors qui explique pourquoi il faut se reposer la question : l'S-CTL est-il vraiment supérieur au CTL ?
Dans un premier temps, l'auteur a réalisé une méta-analyse des essais face-face, c.à.d. comparant directement les deux molécules. Il a réalisé une recherche approfondie : études pivots déposées à la HAS et la FDA, et les bases de données Cochrane, DARE, MEDLINE et EMBASE et les essais référencés sur les sites des laboratoires (FOREST, LUNDBECK). Il fallait que l'étude dure au moins 4 semaines, sachant que les données à 8 semaines étaient celles qui étaient retenue si disponible. Le critère était le taux de répondeur dans l'analyse en intention de traiter (réduction de 50% des symptômes sur MADRS > HAM-D - variable qualitative), si non disponible la réduction des symptômes (variable quantitative).
L'auteur a trouvé 6 études face à face exploitables. Trois études présentes dans les documents soumis aux autorités de santé n'ont jamais été publiées et leurs résultats sont négatifs. Les données n'étant pas fournies, elles n'ont pas pu être intégrées à la méta-analyse. Une des 6 études utilisée est une valeur aberrante surévaluant l'efficacité du S-CTL, mais elle était à petit effectif (funel plot). L'odd ratio combiné est cependant significatif 1.54 (IC95 de 1.26 à 1.87, p = 0.006, n = 1934).
Soupçonnant qu'il pourrait y avoir un biais de publication, l'auteur a ensuite réalisé une comparaison indirecte des deux produits en se reposant sur les études qui ont comparé l'un ou l'autre avec un autre produit qui sert alors de référence, soit actif, soit un placébo (PLC). On estime alors le rapport d'efficacité entre S-CTL et CTL au travers des différents produits de référence.
Si on utilise le PLC comme produit intermédiaire, on trouve 10 études CTL et 12 études S-CTL. Cette fois-ci l'odd-ratio indirecte est de 1.03 (IC95 de 0.83 à 1.28, n = 3777).
Le résultat n'est pas plus significatif si on utilise un produit intermédiaire actif :
- Paroxetine (0.74, IC95 = [0.45-1.21])
- Venlafaxine (0.83, IC95 = [0.48-1.45])
- Fluoxetine (1.12, IC95 = [0.76-1.66])
- Sertraline (1.02, IC95 = [0.61-1.71])
Alors pour finir l'auteur réalise une étude complète "en réseau" prenant en compte aussi bien les comparaisons directes et indirectes. L'odd-ratio est de 1.31 toujours significatif, mais limite (IC95 = [1.05-1.64]). Qu'en serait-il si on intégrait les 3 études négatives ?
En guise de conclusion, l'importance de l'écart entre estimations directe et indirecte s'explique probablement par le biais de publication affectant les essais face-face. L'S-CTL n'apporte probablement pas de bénéfice par rapport au CTL. Pourtant cette stratégie à un coût :
- SEROPLEX 10 mg, 28cp 22.73 €
- SEROPRAM 20 mg, 28 cp 18.69 €
- Il existe 21 génériques du CTL en France, tous sont à 12.47 € pour 28 cp dosés à 20 mg.
En janvier 2011, on prescrivait en France 3 fois plus de S-CTL que de CTL génériqué, la version non génériqués ne représentant plus que 10% des précédentes. En 2010 le remboursement du S-CTL s'élevait à 2.7 M€, le CTL à 0.9 M€...
Evergreening: how green is it after all? Al-Khafaji A. Master Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP) - International master of public health - MPH, 2011, 44 p.