28/01/2013 01:24

Les antipsychotiques sont-ils neurotoxiques ?

Catégorie : Lecture
Auteur : Jack R Foucher
Bien qu'il est peu probable que les antipsychotiques soient neurotoxiques, leurs effets métaboliques doivent être surveillés

Les antipsychotiques sont neurotoxiques ! C'est en tout cas ce que l'article de Ho et coll. suggère. Il émane d'une équipe célèbre dans le champ de la schizophrénie, celle de l'université de l'Iowa dont l'équipe a longtemps été dirigée par Nancy Andreasen cosignatrice de cet article. Elle avait d'ailleurs déjà lâché cette "bombe" dans les journaux grand public américains, ce que ses collègues lui ont largement reproché. Un joli coup de pub si on se réfère au buzz passionné que cela a généré. Mais quelles sont les preuves ?

Les auteurs ont suivit en imagerie structurelle 211 patients (192 SZ - 19 SZ-affectifs, 72% d'hommes, âge d'entrée 26 A) sur une durée moyenne de 7 ans, soit ~3 scans / patients. Cette durée doit être relativisée par le taux de rétention qui n'est que de 66% à la 2nd évaluation, 39% à la 3ème et 14% à la 4ème. Lors du premier scan, les antipsychotiques de première génération (AP1G) et AP2G étaient donnés à égale proportion, pour finir à 16% d'AP1G, 60% d'AP2G et 22% de CLZ.

La dose d'AP, transformée en équivalent clorpromazine moyenne / j était faiblement corrélée à une perte de la substance grise (SG) totale, et lobaire (frontale, temporale et pariétale) et à une augmentation de celle du putamen. La dernière est un grand classique des antipsychotiques, mais que veux dire la première ? Avant tout, rappelons qu'il ne s'agit pas d'une perte de neurones, mais d'une perte de neuropile. Autrement dit, cela correspond à une réduction du nombre de synapses donc une diminution de la connectivité. Les auteurs pensent que cette corrélation ne peut pas être le reflet de la sévérité de la maladie car ils l'auraient régressé préalablement. Pour ce faire, ils ont créé un score composite à partir de ceux de la GAS (EGF), des symptômes positifs (SAPS) et négatifs (SANS) qui étaient fortement inter corrélés (r = 0.82). Cette corrélation entre dose d'AP et SG est donc interprétée comme causale.

Pourtant

  • Il s'agit d'une statistique transversale, l'analyse longitudinale (interaction dose d'AP x temps), la seule qui apporterait un réel argument en faveur d'un effet des AP, n'est pas significative sur la SG, c.à.d. que les patients sous de plus fortes doses ne vont pas présenter de tendance à une plus forte atrophie !
  • Les auteurs n'ont pas utilisé la dose cumulée d'AP qui aurait plus de sens s'il s'agissait d'un effet neurotoxique, mais la dose moyenne par jour.
  • On peut s'interroger sur la pertinence du score de sévérité quand on apprend qu'il ne corrèle quasiment pas avec la dose équivalente de clorpromazine (r = 0.14, l'article comporte d'ailleurs une coquille puisqu'il confond à deux reprises la clorpromazine avec la CLZ) et qu'il n'est que très discrètement corrélé avec une réduction de SG (global et frontale).
  • La significativité est surtout liée aux formes résistantes de la maladie (patients sous CLZ), alors que l'effet n'est que marginal pour les AP1G et 2G.

 

Ces données suggèrent que le sens de la causalité pourrait être inversé, les psychiatres augmentent les doses d'AP et passent à la CLZ en raison d'une résistance. Une plus grande atrophie de la SG avait déjà été observé chez les patients résistants aux APs, ce qui pourrait expliquer cette corrélation.

Quoi qu'il en soit, la variance expliquée par la dose moyenne d'AP sur la SG est faible puisqu'elle représente moins de 10% des effets de l'âge. Ce dernier entraine des réductions importantes de SG totale, lobaire (frontale, temporale, pariétale) et thalamique. Cet effet de l'âge n'est pas le seul fait des patients, puisqu'on le retrouve dans la population générale.

Les auteurs argumentent leur hypothèse d'un lien causal sur la base de l'observation d'une réduction de SG chez le singe sous haloperidol ou OLZ. Mais l'interprétation de ces données doit être mise en perspective. Il est peu probable que les AP soient neurotoxiques directement comme le montre les études sur tranches. L'effet passe plutôt par les conséquences comportementales d'un AP prescrit à un animal qui n'en avait pas besoin. En effet, un AP aux doses utilisées pour ces travaux entraine une apathie chez le singe. Il réduit l'exploration de son environnent, et ses interactions avec ses congénères. Bref, il vit dans un milieu appauvri en stimulations. Or la richesse du milieu est directement liée à l'épaisseur du cortex comme cela avait été montré chez le rat dès les années 60. Plus le rat est stimulé, ou a l'occasion de s'auto-stimuler, plus il fait des synapses et plus son cortex est épais... L'IRM capture ce même phénomène chez l'homme. Ainsi on observe une augmentation de la taille des hippocampes chez les apprentis taximen londoniens lorsqu'ils apprennent le plan de Londres. Ou encore, on observe un effet trophique de la préparation des examens chez les étudiants sur le réseau impliqué dans la mémorisation. Cet effet trophique est aussi valable pour l'exercice sportif... Bref, ces données animales ne permettent pas non plus de conclure à un effet neurotoxique des AP.

Au mieux peut-on conclure qu'il est préférable de prescrire la dose minimale efficace en phase de maintient et enrichir le milieu de nos patients (occupation, remédiation, travail...).

Cependant il existe bien une interaction dose AP x temps, mais elle concerne la SB. Plus la dose est élevée, plus le patient présente une réduction des la SB totale et lobaire, ainsi qu'une augmentation de la taille des ventricules. Ce résultat totalement inattendu n'est ni exploré plus avant, ni discuté par les auteurs, alors que sa significativité dépasse allègrement celle de l'effet transversal des AP sur la substance grise. En neurologie, les atteinte de la SB hors cause inflammatoire, sont surtout le fait de troubles vasculaires. Le syndromes métabolique n'est pas du tout évalué dans cette étude, de sorte que l'hypothèse la plus raisonnable serait que les patients sous fortes doses aient plus de risque de développer un syndrome métabolique (diabète, obésité...), et donc plus de lésion de la SB. Cela va dans le sens des anomalies cognitives de type sous-corticale observées dans l'obésité, que celle-ci se développe chez le sujet normal ou un patient schizophrène. Cela aussi plus compatible avec l'accroissement des risques d'AVC chez les patients (âgés) sous AP.

 

La prudence devrait donc nous amener à considérer l'importance de l'éviction du syndrome métabolique pour la protection à long terme du capital cognitif (et de la SB) de nos patients.

 

Ho et coll. Long-term antipsychotic treatment and brain volumes: a longitudinal study of first-episode schizophrenia. Arch Gen Psychiatry. 2011, 68:128-137.