Traiter les dépressions avec de la toxine botulique
Catégorie : Recherche, LectureAuteur : Olivier Mainberger
Charles Darwin, tout comme William James avaient déjà évoqué l’hypothèse que nos expériences émotionnelles pourraient être modulées par l’activité des muscles du visage. Les réafférences proprioceptives des muscles de la face inhiberaient ou renforceraient les émotions. Il était donc naturel que l’on s’interroge sur le rôle de l’expression faciale dans l’entretien d’une humeur dépressive. Le muscle corrugateur du sourcils, impliqué dans son froncement et donc dans l’expression de la souffrance (le fameux oméga mélancolique) était tout particulièrement visé. L’idée est simple : est-ce qu’en le paralysant par injection de toxine botulique, et donc en réduisant les expressions faciales de tristesse, angoisse ou colère, on pourrait améliorer l’humeur dans la dépression.
En 2015, les trois équipes ayant chacune déjà publié un essai randomisé et contrôlé sur le sujet ont uni leurs travaux pour en faire une analyse poolée.
Deux des trois essais ont été menés en bras parallèle contre placebo (sérum physiologique) pendant 6 semaines, le troisième a été mené selon un protocole croisé pendant 24 semaines, tous étaient en double aveugle. L’analyse concernait 134 sujets comprenant 90% de femmes et souffrant d’un épisode dépressif unipolaire selon les critères du DSM IV. Les sujets se voyaient injecter de la toxine botulique ou du placebo au niveau du corrugateur du sourcils selon un protocole comparable aux interventions pratiquées en chirurgie esthétique.
À 6 semaines, les scores des échelles d’hétéro-évaluation de la dépression (HAM-D ou MADRS) ont été réduits de 45,3% chez les sujets du groupe verum contre 14,6% du groupe placebo (p < 10-4). Dans le groupe verum, il y avait soit 54,2% de répondeurs et 30% de patients en rémission vs . Les scores des échelles d’auto-évaluations (BDI) ont été réduits de 47,5% vs 16,2% dans le groupe témoin. Dans le groupe verum, des scores comparables de 52,5% de réponse pour 40,6% de rémissions (8% de chaque pour le groupe placebo).
Ces résultats encourageants présentent néanmoins certaines limites, d’abord en termes de nombre de sujets : les résultats devront être répliqués sur des effectifs plus importants. Il semble y avoir un biais de sélection avec plus de 90% de femmes. Enfin on est surpris par la faiblesse de l’effet placebo qui plafonne au mieux à 16% et explique pour l’essentiel la très forte significativité de cette étude. On peut spéculer que ceci soit lié à un aveugle difficile à maîtriser dès lors que l’injection de placebo ne s’accompagne pas d’une paralysie.
Enfin, les résultats ne présentent des données qu’au plus tard 12 semaines après une injection unique de toxine. Il conviendra de documenter plus précisément la durée de l’effet au-delà de 3 mois et la pertinence éventuelle d’injections multiples.