Cas
clinique : Clifford W Beers
Etude de cas et commentaires Jack Foucher
Diagnostic CIM-10
Diagnostic DSM4R
Diagnostic WKL
Diagnostic CIM-10
Beers pensait qu'il souffrait d'une
psychose maniaco-dépressive (PMD). A son époque, les
psychiatres américains utilisaient principalement le
système kraepelinien. Ce dernier étant basé sur le
pronostic, c'est parfois sur la base de ce dernier que le diagnostic
est établi. Or le trouble a visiblement évolué
favorablement, ce qui devait orienter vers une PMD. Remarquez
qu'à l'époque PMD ne signifiait pas bipolarité,
mais recouvrait tous ce que nous entendons par troubles de l'humeur
dans les classifications actuelles (unipolaires compris).
Si le premier épisode de Beers
devait avoir été diagnostiqué isolément,
à la fin de la seconde année d'évolution du
trouble, le diagnostic CIM-10 aurait été celui de
schizophrénie : idées délirantes multiples dont
certaines culturellent inadéquates (référence,
persécution, empoisonnement, des sosies ou de Capgras,
culpabilité). Il est peu probable que les troubles thymiques
aient été suffisant pour envisager le diagnostic de
trouble schizo-affectif. En effet, l'humeur était anxieuse, et
non ou peu dépressive, instable et surtout n'était pas
dévoilée de sorte que de l'extérieur le clinicien
voyait un patient mutique, faiblement réactif à
l'environnement, peu actif (stuporeux) et souvent opposant. Le passage à l'acte
suicidaire serait sans doute apparu comme un de ces actes impulsifs et
imprévisibles que l'on observe dans ces formes. Bref initialement
le diagnostic aurait sans doute été celui de schizophrénie catatonique d'évolution continue (F20.20).
Bien que toutes les
schizophrénies catatoniques ne présentent pas le
même vécu, le cas de Beers montre qu'il ne faut pas
imaginer que parce qu'ils ne répondent pas, ces patients ne
présentent jamais de vie intérieure. Beers
présentait même au début une tachypsychie confinant
sans doute parfois à la confusion, et si au début son
mutisme semble primaire (il dit qu'il n'arrivait plus à parler),
par la suite il sera secondaire à son délire de
persécution (il se méfiait de l'entourage).
Le diagnostic de catatonie obligerait
de nos jours à un certain nombre d'investigation, puisqu'on
considère que 30 à 40% de ces tableau sont d'origines
organiques : état de mal partiel, toxique que ce soit une
intoxication ou un sevrage, trouble hydroelectrolytique ou endocrinien
(Fink). Bilan biologique, TDM et EEG grand casque avec
électrodes temporales basses constituent le bilan minimal.
Si pour les autres patients, le
diagnostic est initialement celui de schizophrénie catatonique,
l'évolution montre que la majorité d'entre eux (~3/4)
évolue sous la forme d'un trouble bipolaire. Ceci fait que la
schizophrénie catatonique est la forme qui est
considérée comme ayant le meilleur pronostic, devant la
forme paranoïde. Ce retournement de situation par rapport aux
formes catatoniques de Kraepelin qui étaient celles de plus
mauvais pronostic a deux grandes explications non exclusives : 1/ les
critères diagnostics sont trop différents pour recouvrir
la même réalité clinique, 2/ certaines des formes
cliniques courantes à l'époque de Kraepelin ont quasiment
disparues actuellement (l'institutionnalisation et les mauvais
traitements qui y étaient liés ont souvent
été considérés comme responsables, ou pour
l'école de WKL, l'amélioration des conditions
d'hygiène et du suivit de la grossesse ont réduit les
causes de ces formes).
Le fait que le tableau se lève
de façon spectaculaire dans ~70% des cas avec une
benzodiazépine et que les patients rapportent souvent une grande
angoisse comme en témoigne Beers impliquerait pour certains
auteurs, qu'il s'agisse d'une réaction stuporeuse adaptative
à un stress aigu.
L'évolution du trouble vers un épisode maniaque franc
: élation de l'humeur, hyperactivité, logorrhée,
graphorrhée, irritabilité, prise de risque, augmentation
de l'estime de soi, surestimation de ses capacités, optimisme
excessif, augmentation de la sociabilité et de la
familiarité ... Ce dernier s'accompagnait d'idées
délirantes de grandeur congruentes à l'humeur, et d'une
désorganisation à l'acmé du trouble (mais
s'agissait-il d'une simple digression liée à la fuite des
idées ?).
En théorie il semble difficile
de faire de la première phase une dépression (le texte ne
nous amène pas suffisamment d'arguments pour remplir les
critères et la psychose a durée bien plus longtemps que
le trouble de l'humeur). A noter que la CIM-10 ne reconnaît pas
de véritable caractéristique catatonique à la
dépression comme le DSM4R. Elle ne reconnaît dans les
caractéristiques psychotiques que la possibilité
d'observer un état stuporeux qui devrait s'expliquer par un
ralentissement psychomoteur extrême (or si pour le moteur c'est
cohérent, la tachypsychie rend l'explication peu
crédible).
Ainsi lors de la seconde phase, le
diagnostic ne pourrait sans doute pas être celui de
bipolarité d'emblée (F31.). Plus vraisemblablement on se
serait contenté, le temps de voir évolué le
trouble, du diagnostic d'épisode maniaque avec symptômes
psychotiques (F30.2). Lors du deuxième épisode maniaque,
le diagnostic de bipolarité en revanche peut être
porté (F31.).
Diagnostic DSM4R

A nouveau pour le
premier épisode, le diagnostic de schizophrénie
catatonique peut être porté. L'épisode n'aurait pas
non plus rempli les critères de dépression, au mieux ceux
d'une trouble schizo-affectif puisque les troubles psychotiques
semblent avoir persisté bien au delà de la phase durant
laquelle l'anxiété était présente (>2
semaines). Et encore, les troubles de l'humeur n'auraient sans doute
pas été jugé cliniquement significatif plus de la
moitié du temps durant lequel le patient était
psychotique. Or classiquement, et bien qu'elle ne soit pas
formulée dans le DSM, on utilise la règle des 2/3 pour
estimer que les symptômes thymiques ont été
présent pendant une partie "conséquente" de
l'épisode (persistance des troubles thymiques au moins 2/3 du
temps).
Enfin dans le DSM4R, le diagnostic de bipolarité peut être
porté dès le premier épisode maniaque.
Diagnostic WKL

Dès le premier épisode,
le trouble semble polymorphe au sens de Leonhard : l'humeur anxieuse
est instable voir entrecoupée de période de bien
être. Ce caractère très fluctuant de l'humeur
s'accompagne d'un caractère très fluctuant des
idées délirantes. On parle de caractéristique polymorphe dans la CIM-10, ce qui reprend notre concept français attaché à la bouffée délirante.
D'autre part le trouble semble mixte
au sens large dans lequel l'entendait Leonhard, c.-à-d.
association de pôles inversés entre des modalités
différentes. Les modalités sont : émotion,
pensée, psychomotricité. Dans notre cas, l'humeur est
anxieuse (-) et la psychomotricité inhibée (-) mais le
patient décrit une pensée tachypsychique (+).
Pour l'école de WKL,
instabilité de l'humeur (polymorphie) et mixité sont plus
que suffisants pour limiter les possibilités aux formes
bipolaires : PMD (au sens restreint de Leonhard), les psychoses
cycloïdes ou les schizophrénies non
systématisées.
Sur le plan des schizophrénies
non systématisées, nous ne pouvons retenir aucun argument
positif en faveur d'une cataphasie (désorganisation grammaticale, néologisme en plus d'une désorganisation du discours), ni d'une catatonie périodique
(parakinésie, mixité au sens restreint, c.-à-d.
coexistance d'éléments d'hyperactivité sur une
partie du corps et d'hypoactivité sur une autre ...). Un
pôle anxieux avec interprétation persécutive
s'observe dans les paraphrénie affective.
En faveur de ce diagnostic on pourrait argumenté que vers la fin
du trouble, les idées délirantes restent présentes
alors que l'anxiété n'est plus en avant du tableau.
Cependant :
- Le délire reste logique et en lien avec l'humeur
- Il n'est pas fixe, mais varie d'une jour à l'autre
- Il n'y a pas de persécuteur désigné
- Il n'y a pas eut
d'agression envers ses persécuteurs, et on voit
déjà une idéation empathique : il ne veut pas
entraîner sa famille dans la déchéance d'un
procès. Il serait d'accord de mourir, ou de rester
enfermé dès lors qu'on puisse lui garantir qu'il n'y aura
pas de "procès".
La tableau initial
pourrait rentrer dans le cadre d'une PMD ou des phases anxieuse peuvent
s'observer. Mais le trouble délirant semble trop important non
seulement parce qu'il dure bien après que le trouble anxieux ne
soit plus en avant de la scène, mais aussi parce qu'il ne peut
être déduit en toute logique de ce dernier. En particulier
le délire de Capgra est difficile à "comprendre".
Plus vraisemblablement ce premier
épisode rentre dans le cadre d'une psychose cycloïde. Son
début aigu (<2 semaines), le caractère polymorphe de
l'humeur et du délire, le tableau de pan-anxiété,
les troubles moteur akinétique, une réaction
dépressive et une préoccupation avec les idées de
mort serait des arguments positif selon Perris. Mais la
définition de ce dernier est une simplification (excessive ?)
par rapport au concept de l'école de WKL. En effet pour Leonhard
le diagnostic de psychose cycloïde ne pouvait être retenu
que si 1 des 3 sous-types précis pouvait être
diagnostiqué.
Cela n'empêche que les
différents tableaux de psychose cycloïde
s'interpénètrent fréquemment surtout à
l'acmé du trouble. Aussi on reconnaît des
éléments de psychose motrice au moins initialement
(mutisme lié à une impossibilité de parler).
Maintenant une réduction de la motricité peut aussi
être secondaire à une inhibition de la pensée (psychose confusionnelle).
Le diagnostic différentiel se fait sur l'attitude et
l'expression du sujet : amimie dans la forme motrice, perplexe dans le
forme confusionnelle. Mais le tableau est de loin plus cohérent
avec une psychose anxieuse (un des pôles de la psychose d'anxiété-félicité).
La confusion initiale
accompagnée d'une difficulté à discerner ce qui
appartient au rêve et à la réalité aurait pu
orienter vers une forme confusionnelle si elle avait durée, mais
de façon plus limitée, elle peut aussi s'observer dans
toute les formes de bipolarité.
L'anxiété est le
premier symptôme à se manifester. Il est en fait
déjà présent par instant et s'accompagne d'une
inhibition motrice comme il le décrit à 17 ans durant un
cour. L'anxiété s'accompagne d'une activité
cérébrale intense (tachypsychie qui s'accompagne d'une
impression de perte de contrôle de son activité mentale)
et devient rapidement intolérable au point de mener au suicide.
Ce n'est pas que le patient cherche à mourir comme dans la
dépression, mais que la mort est vue comme un moyen
d'échapper à une souffrance intolérable. Enfin les
idées délirantes découler de l'humeur anxieuse :
la méfiance, qui se lit le plus souvent sur le visage ou dans le
comportement, entraîne les idées de persécution, le
délire d'empoisonnement, qui là encore n'est pas
centré sur la mort mais sur la souffrance. C'est le
délire sous tendu par l'anxiété qui semble
expliquer la poursuite du mutisme au delà de la phase initiale
du trouble. Ici les idées liées à
l'anxiété s'accompagnent d'idée de
culpabilité, il se fait le reproche d'avoir mis sa famille en
difficulté par sa TS. Cette idée semble reposer sur
l'angoisse, plus que sur une thymie dépressive. Cette
dernière étant cependant fréquemment
associée, quoique ne remplissant qu'occasionnellement les
critères d'une dépression.
Le délire de Capgras semble
avoir émergé au début alors que le patient voyait
le monde transformé (déréalisation). Il est
possible que cela ait affecté la perception des gens qui
paraissent comme "robotisés". Cette impression de changement
infime dans le regard ou la gestuelle vécue dans une
atmosphère d'anxiété méfiante a
entraîné l'interprétation délirante de
sosies. Il est d'ailleurs fort possible que la fin de l'épisode
n'était accompagné que des idées délirantes
qui subsistent parfois en fin d'épisode, le temps de les
remettre en cause, ce que son hospitalisation ne lui a permis de faire
que tard. Le fait que l'ensemble de la symptomatologie disparaisse d'un
coup suite à sont "test", valide l'idée que l'ensemble de
la construction délirante n'était plus supportée
par un trouble de l'humeur, mais bien par un mécanisme
interprétatif.
Le caractère fugitif des
hallucinations acoustico-verbales, parfois des illusions plus que des
hallucinations, toujours congruentes avec l'affect est classique. Les
hallucinations visuelles scénique du début sont plus
à rattacher à la confusion qui a accompagnée
l'acmé du trouble.
Enfin le mode de début est
classique : brutal, mais surtout faisant suite à un
excès de travail et un manque de sommeil.
Leonhard a débattu de ce cas
dans son livre : "Bedeutende Persönlichkeiten in ihren psychischen
Kankenheiten" (1988) ("Des personnalités connues et leurs
troubles psychiatriques") et est parvenu au même diagnostic.
Le switch vers le pôle inverse
confirme si besoin en était le caractère bipolaire du
trouble. Bien que le tableau corresponde trait pour trait au descriptif
d'une tableau maniaque, il y a un élément diagnostic
important qui confirme fortement le diagnostic jusqu'à
l'affirmer dès lors qu'il est constant : le caractère
empathiques de se idées et de ses sentiments. Ainsi il entre en
résonance avec d'autres patients, s'il prévoit de
s'évader c'est avec les autres, il faut sauver ses compagnons
d'infortune, c'est le projet. Et enfin, il pardonne et trouve des
circonstances atténuantes aux gardiens qui le maltraite. Enfin
cela va jusqu'à faire le sacrifice de soi en acceptant
d'être placé dans les services les plus pénibles
dans lesquelles il se fera "torturer".
Un tableau maniaque est possible,
mais dans ce cas, il semble secondaire à une lutte contre
l'injustice dont il s'est fait le chancre. Enfin il présente le
classique caractère fluctuant (lors de sa décroissance).
La seule présence de ce signe
est un facteur d'excellent pronostic, puisqu'en sa présence
aucun patient n'évolue défavorablement (étude de
Pamplone de Peralta et Cuesta).
L'évolution du trouble se fait
vers la guérison excepté la persistance d'une
idéation délirante qui dépasse souvent
l'épisode lui-même. Classiquement la rémission est
beaucoup plus rapide puisque la durée moyenne des
épisodes est de 3 mois. Mais il existe de grandes variations, et
dans le cas de Beers, il n'est pas impossible que la phase anxieuse ait
été allongé par l'absence de
ré-interprétation de l'idéation délirante.
En revanche il existe une forte tendance à la récidive, avec 1 épisode tous les 3 ans en moyenne.
L'étiologie est classiquement
non ou peu héréditaire (hérédité de
terrain), mais liée à une souffrance
cérébrale souvent liée à une
événement de la grossesse, de l'accouchement ou
post-natal. Dans le cas de Beers, on peut se demander si l'age de son
père ne serait pas le facteur à incriminer. En effet, la
lignée germinale continue de se diviser durant toute la vie de
l'homme et plus celui-ci procrée tard, plus les erreurs de
réplication peuvent se multiplier, de sorte qu'un age > 45
ans est considéré comme un facteur de risque.
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© CEP, création juillet 2008,
dernière mise
à jour juillet 2008,
Jack Foucher